Un jumeau qui prend trop de place, un père autoritaire, un rêve professionnel qui s’écroule, Baptiste ne trouve plus sa place dans le monde. À 15 ans, il découvre l’alcool. Boire lui donne un sentiment de liberté. À 24 ans, boire lui fait oublier la dérive de sa vie. Malgré les épreuves et les drames, l’amour de sa mère finira par le sauver. Baptiste est abstinent depuis 5 ans. Pour se reconstruire, il a co-écrit avec Judith Lossman son histoire dans un livre : D’avoir trop trinqué, ma vie s’est arrêtée.
L’amour de ma mère m’a sauvé. Un jour, elle est entrée dans ma chambre et m’a parlé des Alcooliques Anonymes (AA). Ce jour-là, j’avais une gueule de bois monstrueuse. C’était la première fois qu’elle évoquait les alcooliques anonymes et je ne sais pas pourquoi, je l’ai écouté. Je crois que j’ai surtout lu dans son regard : « je ne te reproche rien. Je vois que tu souffres et je t’écoute. » Cette énorme preuve d’amour m’a sauvé. J’ai découvert beaucoup plus tard qu’elle se renseignait déjà depuis un an sur l’alcoolisme. Elle a cherché des solutions et envisageait même une hospitalisation. Elle a aussi intégré un groupe de parole dédié à l’entourage de personnes alcooliques appelé Al-Anon.
Ce jour-là, j’ai aussi reçu une lettre de mes amis qui exprimaient leur inquiétude et leur peine de me voir me détruire. Eux aussi m’assuraient qu’ils étaient là pour moi et me suggéraient de me faire accompagner. Ces deux preuves d’amour en moins de 24h ont été les déclics que j’attendais. Le lendemain, je suis allé aux alcooliques anonymes.
J’étais en quête d’identification. Je me cherchais tellement, qu’aller aux AA a été une libération. J’ai vu que d’autres partageaient ma souffrance, que je n’étais pas seul. Je m’identifiais à leurs parcours et à leurs émotions. Durant toutes ces années, je me suis senti tellement différent. Chez les AA, je me disais que s’ils arrivaient à décrocher, moi aussi je pouvais le faire. Je voyais qu’ils avaient retrouvé goût à la vie. Leurs témoignages me donnaient envie de m’accrocher. J’ai fini par sortir de ces réunions rempli d’une énergie incroyable. Je retrouvais le sourire et je me retrouvais tout court. J’y allais une fois par semaine pour recharger les batteries, pour trouver le courage de continuer.
J’ai aussi été suivi en parallèle par un addictologue, un psychiatre et un psychologue. Faire un suivi thérapeutique est très important pour se reconstruire, comprendre et s’accepter. Sans cela, le sevrage sera assez friable. Il ne faut pas occulter le passé, ni le mal-être à l’origine de l’addiction. Il faut donc allier les deux.
Durant les 3 premiers mois, j’étais dans un énorme brouillard. Je ne savais pas si ça valait le coup de continuer. J’étais tellement mal, sans vie et sans envie. Heureusement, j’avais ma mère et je m’étais engagé à aller aux AA. J’avais également mes amis qui me soutenaient. Et puis l’exigence envers soi-même que mon père avait tant voulu me transmettre m’a aussi aidé à tenir le coup. Au bout de ces 3 mois, j’ai recommencé à ressentir des émotions comme la joie et la tristesse et à retrouver de l’énergie.
Pendant mes 2 premières années d’abstinence, j’ai connu ce qu’on appelle un état euphorique. J’étais super bien, je commençais à me réapproprier mon corps. J’ai aussi continué à suivre le cadre qui m’était imposé. J’ai terminé mes études en école de commerce puis j’ai travaillé chez Danone. Mais au bout de 2 ans, je ne supportais plus le fait d’avoir un supérieur hiérarchique et de devoir répondre à des attentes. La vie en entreprise ne me correspondait tout simplement pas.
Je suis retombé dans la dépression alors que je m’étais juré de ne pas retourner dans des états pareils. Après 2 ans d’abstinence, j’étais de nouveau dans mon lit, incapable de manger, de trouver un sens à ma vie. J’étais à deux doigts de replonger. J’ai dû faire preuve d’une immense volonté. Il fallait s’accrocher. Je pleurais tous les jours. J’étais au bout du rouleau et incapable d’aller au travail. Je me forçais à être quelqu’un que je n’étais pas.
L’abstinence ne fait pas tout. C’est important de se sevrer mais le vrai chantier c’est de se redécouvrir en dehors de l’alcool. Savoir ce qu’on aime, qui on est. J’ai quitté Danone. J’avais si longtemps enfoui mes émotions que j’avais désormais besoin de m’exprimer. J’ai alors commencé à écrire. Mais j’ai vite compris que je n’arriverai pas à aller au bout de ce projet tout seul. On m’a alors présenté Judith Lossmann qui a créé la littérothérapie, la thérapie par l’écriture. Elle m’a guidé dans mon exploration intérieure, m’a confronté à moi-même, à mes faiblesses, mes défauts et mes qualités. Guidé par elle, j’ai pu faire une analyse approfondie par l’écriture. Nous avons finalement co-écrit le livre D’avoir trop trinqué, ma vie s’est arrêtée.
Pendant l’écriture du livre, je me suis rendu compte que transmettre et accompagner était la meilleure façon que j’avais d’exprimer qui j’étais. Naturellement, j’ai cherché à structurer ces compétences. C’est ainsi que j’ai découvert le « Patient expert ». C’est une personne qui est passée par l’alcoolisme et qui intervient à l’hôpital auprès des patients en cure. Pour devenir Patient expert, il faut faire une formation d’un an à l’hôpital Bichat. Je rencontre les malades dans leur chambre. Je les écoute, les accompagne, les rassure, les valorise. Je témoigne aussi dans les groupes de parole. Il n’y a rien de plus nourrissant que ces rencontres. Le fait de donner me permet de structurer ma sobriété, d’avoir des raisons de continuer.
J’interviens également auprès des lycéens. Je veux que mon témoignage leur permette de se poser des questions sur leur propre parcours. Je leur demande de faire un pas de côté, de prendre du recul et de réfléchir sur leur relation à l’alcool. Pourquoi je bois ? À quel moment ? Pour compenser quelles émotions ? Je leur dis aussi d’oser parler. La parole fait du bien. On se fait souvent des films sur les attentes des autres, sur l’image que l’on pense transmettre. Quand on ose parler de ses vulnérabilités, on voit qui sont nos vrais amis. Ce sont eux qui restent et vous accompagnent lorsque vous en avez besoin.
Aujourd’hui, je me sens beaucoup mieux. Je me suis remis à jouer au foot. J’extériorise cette colère, cette frustration qui est toujours en moi vers quelque chose de plus sain. Enfin, grâce aux alcooliques anonymes, j’ai appris à exprimer ma gratitude. Chaque jour, je suis reconnaissant pour cette nouvelle journée sans alcool.
Tu peux le faire via son compte Instagram : https://www.instagram.com/mulliezbaptiste/
Ou via son site internet : www.baptistemulliez.com
Lire l’épisode 1 : Baptiste Mulliez, 29 ans : « Avec l’alcool, je me sentais enfin libre »
Propos recueillis par Valérie François / CIDJ / Janvier 2021
Illustration : CIDJ
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Quel beau temoignage !